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Federico GARCIA LORCA

Federico GARCIA LORCA

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"Federico GARCIA LORCA    chansons gitanes et poèmes

Préfaces par Armand Guibert et Louis Parrot" Seghers  1964

IL Y A EU CRIME DANS GRENADE

                                                  I

                                          LE CRIME

On l'avait vu, cheminant entre des fusils

par une longue rue,

apparaître dans la campagne froide,

encore étoilée, la campagne du matin.

Ils ont tué Frédéric

à l'heure où surgissait la lumière.

Le peloton des bourreaux

n'osait le regarder en face.

Ils ont tous fermé les yeux,

ils ont prié: Dieu lui-même ne te sauverait pas!

Il est tombé mort, Frédéric

-sang au front et plomb aux entrailles.-

...Il y a eu crime dans Grenade!

vous savez?-pauvre Grenade!-sa Grenade!...

 

                                               II

                             LE POETE ET LA MORT

On le vit cheminer seul avec elle,

sans crainte de sa faux.

-Déjà le soleil frappe sur la tour et la tour; et les marteaux

sur l'enclume, et l'enclume, et l'enclume des forges.

Frédéric parlait,

faisant à la mort sa cour, et elle écoutait.

"Parce qu'hier, dans mes vers, chère compagne,

résonnait le choc de tes paumes sèches

parce qu'hier, dans mes vers, chère compagne,

et parce que tu donnas à mon chant ton gel, et à ma tragédie

le fil de ta faux d'argent,

Je te chanterai la chair que tu n'as plus,

tes yeux absents,

tes cheveux que le vent secouait,

et les rouges lèvres où l'on te baisait...

Aujourd'hui comme hier, ma mort, belle gitane,

Ah! qu'on est bien seul avec toi,

à respirer cet air de Grenade, ma Grenade!"

                                                  III

On les vit cheminer...

                            Taillez-moi, mes amis,

un sépulcre de pierre et de rêve,-dans l'Alhambra,

pour le poète,

sur une fontaine où l'eau pleure

et dise éternellement:

il y a eu crime dans Grenade! sa Grenade!

                                             ANTONIO MACHADO

                                            Traduit par Jean Cassou

Le poète est né en 1898 à Fuentevaqueros, province de Grenade. Le goût passionné de la musique marqua ses premières années; toute son oeuvre poétique est étayée par cette éducation de l'oreille, ce sens du rythme et de l'orchestration, qu'il acquit au sein de sa famille avant de les amplifier au contact de son ami Manuel DE FALLA.

Inscrit à l'Université de Grenade, où il suivit les cours de lettres et de droit, il fut un étudiant assez peu zélé...C'est au cours d'un voyage d'études à travers les villes monumentales de la Castille qu'il se connut, à peine âgé de 18 ans, promis à la carrière littéraire.; un livre, "Impressions et Paysages" fut le fruit de cette randonnée mais il ne se révéla poète lyrique que le jour où il publia (en 1921), son "Livre de Poèmes", où l'on s'accorde déjà à reconnaître un des points de départ de la jeune poésie.Le poète Lorca est un musicien et un peintre.

                                                      ************

Ecrit par Armand Guibert    Villa Médicis   Rome, 11 mars 1945

"Après une nuit passée au Gouvernement Civil, Federico fut passé par les armes par un peloton de la Phalange, à l'aube du 19 juillet 1936, dans le ravin de Viznar, où son corps fut trouvé et reconnu le lendemain au milieu d'un charnier.

                                                                *

Il était comme un cristal de pureté parmi les troubles passions antagonistes. Il ne s'intéressait ni de près ni de loin à la politique, et l'on chercherait en vain dans toute son oeuvre la note la plus légère d'esprit partisan. Nul, dans le camp des assassins, n'a jamais pu avancer qu'il appartînt à un autre parti qu'à celui de la poésie. Devant le déchaînement des passions collectives, il gardait le regard interdit et candide de l'enfant.

Que cette mort ait projeté son nom en pleine gloire, et qu'elle l'ait fait adopter par des couches de lecteurs qui, sans elle, l'auraient à jamais ignoré, la chose est en soi de peu de conséquence. Ce qui doit compter, et demeurer, c'est la leçon exemplaire de cette fin. Nul aujourd'hui n'a plus le droit de le nier, les fusilleurs qui tuèrent en Federico les sources de la vie et du chant donnaient à leur insu le signal d'une nouvelle barbarie. Par eux nous savons désormais qu'un monde n'est pas viable où la force ignorante est investie des pleins pouvoirs; que l'art ne peut fleurir là où la liberté ne règne pas; et que le devoir de tout être conscient est de faire barrage contre les dogmes de mort et d'asservissement.

Derrière le corps qui s'écroula en ce matin de tragédie entre les ajoncs et les oliviers, la place désormais était libre pour d'autres holocaustes (...)

A la lumière de tant de crimes accumulés, nous allons relire aujourd'hui ce petit livre qui fut en son temps un acte de foi en un poète vivant qui chantait comme chante une source. Il nous rappellera qu'il est au principe de la beauté un parfait désintéressement; mais aussi que cette beauté ne peut vivre, s'épanouir et nous féconder que si chacun de nous, en toute conscience, se dresse contre les forces du mal qui risquent d'en empoisonner ou d'en tarir le cours."

 

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CHANSON DE CAVALIER

Cordoue

Lointaine et solitaire.

 

Cheval noir, grande lune,

Des olives en ma sacoche.

Bien que j'en sache les chemins

Jamais je n'atteindrai Cordoue.

 

Par la plaine, par le vent

Cheval noir, lune rouge.

La mort est là me regardant

Du haut des tours de Cordoue.

 

Ah! qu'il est long le chemin.

Ah! mon valeureux cheval.

Dire que la mort m'attend

Sur la route de Cordoue!

 

Cordoue

Lointaine et solitaire.                 CANCIONES

                                        (Traduit par Claire Roy)

             

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                                       MEMENTO

Quand je mourrai

Enterrez-moi avec ma guitare

Sous le sable.

 

Quand je mourrai

Entre les oranges

Et la menthe.

 

Quand je mourrai

Enterrez-moi, si vous voulez,

Dans une girouette.

 

Quand je mourrai!

                       LE LIVRE DU CANTE JONDO

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                       LA NONNE GITANE

Silence de chaux et de myrte,

Mauves dans les herbes fines

Sur une toile jaune paille

la nonne brode des giroflées.

Volent dans le lustre gris

les sept oiseaux du prisme.

Tel un ours panse en avant

loin de là grogne l'église.

Comme elle brode! Quelle grâce!

Sur la toile jaune paille

elle aimerait bien broder

des fleurs à sa fantaisie.

Quel tournesol! Quel magnolia

de faveurs et de clinquant!

Quels safrans et quelles lunes

sur la nappe de l'autel!

Cinq oranges en compote

cuisent dans l'office proche:

ce sont les plaies du Christ

cueillies près d'Almeria.

Dans le regard de la nonne

galopent deux cavaliers.

Une rumeur dernière et sourde

lui décolle la chemise

la vue des monts et des nuées

dans les lointains arides

fait qu'alors son coeur se brise,

son coeur de sucre et de verveine.

Oh, quelle plaine escarpée

sous l'éclat de vingt soleils!

Quelles rivières soulevées

entrevoit sa fantaisie!

Mais à ses fleurs elle s'applique

tandis que debout dans la brise

l'éclat du jour joue aux échecs

par les fentes de la jalousie.

                                        ( Traduit par Armand Guibert)

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                      SAINT GABRIEL ( Séville )

                                             I

Un bel adolescent de jonc,

large d'épaule et fin de taille

avec sa peau d'ombreuse pomme,

sa bouche triste et ses grands yeux,

chemine dans la rue déserte.

Ses deux souliers vernis

brisent les dahlias de l'air

sur le rythme double qui chante

de brefs chagrins venus du ciel.

Au rivage de la mer

il n'est palme qui l'égale

ni empereur couronné

ni étoile vagabonde.

Lorsqu'il incline le chef

sur sa poitrine de jaspe,

la nuit voulant s'agenouiller

devant lui cherche des plaines.

Les guitares jouent toutes seules

pour saint Gabriel archange,

ennemi juré des saules

et dompteur de tourterelles.

"Saint Gabriel, l'enfant pleure

dans le ventre de sa mère.

N'oublies pas que les gitans

t'ont fait don de ton habit."

                                                  II

 

Annonciation des Mages,

bien lunée mais mal vêtue,

ouvre la porte à l'étoile

qui par la rue est descendue.

Voilà que Gabriel archange,

petit-fils de la Giralda,

mêlant au sourire les lis,

chez elle en visite se rend.

Sur son gilet de broderie

des grillons cachés palpitent

et en clochettes sont changées

les étoiles de la nuit.

-Saint Gabriel, me voici

avec trois clous, trois clous de joie.

Des jasmins sur mes joues en feu

font éclore ton éclat.

-Dieu te garde, Annonciation,

fille brune de miracle.

Tu auras un fils plus beau

que les tiges de la brise.

-Gabriel de mes deux yeux,

doux Gabriel de ma vie!

Je rêve pour t'asseoir d'un siège

composé d'oeillets fleuris.

-Dieu te garde, Annonciation,

bien lunée et mal vêtue,

ton enfant sur la poitrine

aura trois plaies et un grain de beauté.

-Saint Gabriel, comme tu resplendis,

ô doux Gabriel de ma vie!

Au plus profond de mes seins

je sens sourdre le lait tuède.

-Dieu te garde, Annonciation,

mère de cent dynasties.

Paysages de chevauchée

fulgurent tes yeux arides.

 

L'enfant chante dans le sein

d'Annonciation étonnée.

Trois balles d'amande verte

tremblent dans son filet de voix.

Et saint Gabriel dans les airs

par une échelle montait,

les étoiles de la nuit

en immortelles changées.

                                                ROMANCERO GITANO

                                                (Traduit par Armand Guibert)

PRECIOSA ET LE VENT

De sa lune en parchemin,

Preciosa s'en va jouant,

par un sentier amphibie

de cristal et de lauriers.

Le silence sans étoiles

fuyant le ronronnement

tombe là où la mer bat,

là où la mer chante

sa nuit pleine de poissons.

Sur les pics de la Sierra,

dorment les carabiniers,

veillant sur les blanches tours

où demeurent les Anglais.

Et les gitanes de l'eau

élèvent par passe-temps

des kiosques de coquillages

et vertes branches de pins.

De sa lune en parchemin,

Preciosa s'en va jouant.

En la voyant s'est levé

le vent qui jamais ne dort.

Gros saint Christophe tout nu,

hérissé de langues bleues,

il guette l'enfant qui joue

d'une douce cornemuse,

d'une cornemuse absente!

-Enfant, laisse-moi lever

ta robe pour te bien voir;

ouvre dans mes doigts très vieux

la rose bleue de ton ventre.

Preciosa jette la lune

la lune du tambourin;

elle court à perdre haleine;

ce vieux vert-galant de vent,

la pourchasse, l'atteint presque

de son glaive tout brûlant.

 

La mer fronce sa rumeur,

les oliviers ont pâli,

les flûtes de l'ombre chantent

le gong des neiges frémit.

 

-Preciosa, cours, Preciosa,

le vent-satyre te prend!

Preciosa, cours, Preciosa,

le voilà qui vient, qui vient,

satyre d'étoiles nues

avec ses langues luisantes.

Preciosa, morte de peur,

se glisse dans la maison

du Consul de l'Angleterre

là-haut, plus haut que les pins.

Tout effrayés par ses cris,

viennent trois carabiniers,

leurs capes noires plaquées

aux corps et les noirs képis

bien enfoncés sur le front.

 

L'Anglais donne à la gitane

une coupe de lait tiède

et un verre de genièvre

que Preciosa ne boit pas.

Et tandis qu'elle raconte

en pleurant son aventure,

là-haut, sur le toit d'ardoise,

le vent mord avec furie.

                                                   ROMANCERO GITANO

                                                   ( Traduit par Mathilde Pomès )

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PRECIOSA Y EL AIRE

Su luna de pergamino

Preciosa tocando viene,

por un anfibio sendero

de cristales y laureles.

El silencio sin estrellas,

huyendo del sonsonete,

cae donde el mar bate y canta

su noche llena de peces.

En los picos de la sierra

los carabineros duermen

guardando las blancas torres

donde viven los ingleses.

Y los gitanos del agua

levantan por distraerse,

glorietas de caracolas

y ramas de pino verde.

                                                    *

 

Ecrit par Louis Parrot:

"L'histoire offre peu d'exemples d'une gloire aussi pure que celle qui s'est attachée au nom et à l'oeuvre du poète andalou. Sans doute parce que Lorca fut l'un des premiers morts de cette guerre mondiale dont la guerre espagnole ne devait être que le premier épisode,- et qui fut l'un des plus illustres. Il était conforme à ce hideux ordre des choses qui vit triompher le plus triste des régimes qu'ait jamais connu l'Espagne (...) De fait, à mesure que les provinces espagnoles tombaient aux mains des rebelles-n'est-ce pas le nom qu'il convient de conserver aux "nationalistes", en dépit de toutes les convenances?- on ne savait plus rien d'elles. Un jour vint où l'on ne sut plus rien de l'Espagne tout entière. Ses poètes étaient muets. A Salamanque, leur vieux maître Miguel De Unamuno avait succombé à l'accablement. La plupart des intellectuels espagnols s'étaient réfugiés en France, en attendant de quitter l'Europe. Tout au commencement, Federico Garcia Lorca avait été fusillé. Vers la fin, lorsqu"en février 1939, après une résistance qui fit l'étonnement du monde, la République espagnole fut vaincue, et que la neige se mit à tomber sur les Pyrénées, Antonio Machado mourait, à Collioure, de privations et de désespoir (février 1939).Et, dès lors, un silence de mort retomba sur l'Espagne.

Et c'est dans ce silence qu'a grandi la légende du poète fusillé, que son nom n'a cessé de croître. Ce nom qui symbolise, et avec quelle noblesse! le héros de notre temps, le camarade qui est tombé tout près de nous, il n'est de jour où il ne retentisse aux oreilles des maîtres actuels de l'Espagne, comme un reproche et comme un avertissement. En faisant exécuter Lorca, ce sont les sentiments les plus chers au peuple espagnol que les généraux rebelles avaient voulu atteindre; ils n'ont fait que les rendre plus forts. C'est sur la mort de Lorca que Franco a établi son régime; c'est elle qui causera un jour sa perte; le seul souvenir du poète assassiné est aujourd'hui aussi puissant qu'une armée."

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LE THEATRE DE LORCA:

Le théâtre de Lorca devait être le prolongement des récits qu'il avait donnés dans ses livres de poèmes: de vastes peintures animées, des agrandissements de ces photographies en couleurs qu'il avait prises dans sa jeunesse avec Salvador Dali...

Il ne s' agit pas à vrai dire d'un théâtre poétique- dans le mauvais sens que nous donnons d'ordinaire à ce mot-, mais de drames fort réalistes au contraire et dans lesquels tout ce qui fait la valeur de la poésie de Lorca a été conservé. Le décor andalou, si éloquent dans ses poèmes, prend une part encore plus active à une action toujours dramatique, et souvent les personnages se taisent lorsque le poète intervient lui-même pour faire entendre une chanson, un refrain d'enfant, une ronde (...)

C'est parce qu'ils savent que rien ne peut être changé à leur destin que les hommes acceptent de devenir justiciers en dépit de leur amitié pour la victime, ou des assassins malgré leur conscience de leur indignité. Leur "sang est plus fort qu'eux". Fille pure, passionnée, "caressée par le feu", la fiancée de "Bodas de Sangre" s'enfuit le jour même de ses noces avec un homme dont l'amour l'emplit de désir et de dégoût. Elle sait qu'un terrible châtiment lui sera réservé, que son acte coûtera la vie des deux hommes qui l'aiment et qui, tous deux, trouveront dans la mort l'accomplissement de leur amour. Mais elle "ne peut se raisonner"; "j'aimais bien mon fiancé et je ne l'ai pas trompé, mais le bras de l'autre m'a enlevée comme un coup de mer". Ce n'est pas non plus la faute à Leonardo s'il enlève la jeune fille; c'est la faute " de la terre et du parfum de son corps et de ses cheveux."

Une fatalité que rien, semble-t-il, ne peut conjurer, conduit les personnages de Lorca malgré tous leurs efforts pour se défaire des liens qui les blessent. Elle justifie ainsi leurs actions les plus folles...

                                                                                     Louis Parrot

 

 

 



05/02/2008
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